Louis-Jean Cormier : Le retour aux sources de l’homme rapaillé

Cette semaine, l’homme rapaillé Louis-Jean Cormier joignait sa magnifique voix ainsi que sa guitare à celles de Gilles Bélanger, l’instigateur du projet Douze hommes rapaillés et «metteur en chansons des poèmes de Miron», comme se qualifie le vétéran mélodiste, sur la scène du Quat’sous, à Montréal.

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Louis-Jean Cormier/Photo: Caroline Bertrand

La vie recelant sa part de mystère, une rencontre fortuite, mais décisive, de trois minutes sur la piste cyclable près du parc Laurier — «j’ai reconnu Louis-Jean à son nez» — fut à la source de leur collaboration dans ce projet transposant en chansons la poésie de Gaston Miron, Cormier ayant agi à titre d’arrangeur et de «codirecteur de casting», dixit l’auteur des Grandes artères.

Alors que les autres hommes rapaillés interprétaient également des chansons de leur propre répertoire lors des précédents concerts de la série Prélude aux douze hommes, celui-ci s’est uniquement articulé autour des chansons de Miron. Après tout, «je connais toutes les tounes!» s’est exclamé le facétieux Cormier, laissant entendre à la rigolade que «j’ai pas laissé le choix à Gilles.» Bélanger et Cormier, qui partagent une complicité tangible sur scène, nous ont offert, guitares et chant en harmonie, une quinzaine de pièces puisées dans les deux sublimes volumes de Douze hommes rapaillés.

Peu avant de monter sur scène, Louis-Jean Cormier nous a gentiment accordé une entrevue.

Que vous êtes-vous dit durant ces trois minutes déterminantes sur la piste cyclable?

Je faisais du Rollerblade avec ma fille, Camille, qui était dans sa poussette lorsque j’ai croisé Gilles — on s’est connus lorsque j’étais guitariste pour Chloé Sainte-Marie; il appréciait mon travail. Il m’a dit: «J’ai pensé à toi pour un gros collectif. Je veux que ce soit toi.» J’ai répondu quelque chose du genre: «J’ai pas le temps, mais je ne peux pas ne pas le faire.» Karkwa prenait beaucoup de place à ce moment-là, on jouait aussi à l’étranger. Gilles avait de super bonnes chansons, dans lesquelles il a fallu mettre de l’ordre. C’est ce qui est l’fun avec Prélude aux douze hommes: on redécouvre l’état initial des chansons. C’est fascinant de voir comme ces tounes ont fait du chemin! Même celles que l’on joue ce soir ne ressemblent pas à celles que Gilles m’avait fait écouter en démo.

Douze hommes rapaillés, ç’a été une belle épopée, une belle célébration des mots, mais aussi des mélodies de Gilles. Il a écouté son Dylan, son Springsteen, son Young; il nous amène ailleurs. En fait, il nous ramène chez nous, c’est plus ça. On a parfois tendance à vouloir créer les mélodies les plus innovatrices, mais, lui, pas du tout, il écrit des mélodies simples qui vont droit au cœur.

En tant qu’arrangeur, quel rôle as-tu joué aux côtés de Bélanger?

J’ai monté toutes les chansons; j’étais le tube de colle, je réunissais le monde. Gilles et moi avons fait la distribution ensemble, mais je devais faire en sorte que le projet se réalise. Gilles compose des tounes, il n’organise pas tout le processus. J’ai mijoté chacune des chansons dans ma tête, les ai retournées et virées de bord pour les amener ailleurs. Le volume I est vraiment un travail d’équipe, il faut le souligner: mon grand ami claviériste François Lafontaine (Karkwa, Galaxie, Marie-Pierre Arthur…) a mis sa touche, a fait un travail très important, tout comme Robbie Kuster, le batteur de Patrick Watson, et Mario Légaré. Un était comme un band de quatre, et les chanteurs se greffaient à nous. Le volume I, c’est un peu mythique parce que tout le monde avait accepté, sans savoir à quoi s’attendre. On est entrés tête première en studio, live, et on a fait 12 tounes en six jours. C’était fou!

Comment t’es-tu approprié tes deux chansons, La route que nous suivons et Au long de tes hanches?

Pour La route que nous suivons, Gilles n’avait pas vraiment composé de mélodie, car elle était un peu spoken word; il souhaitait qu’elle soit mi-parlée, mi-chantée. C’est un grand texte. C’est la seule toune qu’on n’a pas enregistrée live au moment de la prise de voix parce que je voulais jouer l’instrumental et chanter. Au long de tes hanches, je l’aborde comme l’interprète que je suis. Tous les gars ont abordé leurs chansons avec leur identité. Les meilleurs interprètes du monde selon moi sont les auteurs-compositeurs, car ils ont leur façon de prendre une toune et de la tordre, en empruntant une certaine direction artistique. Il faut trouver son identité à travers la chanson.

Qu’est-ce que monter seul sur scène avec Bélanger signifie pour toi?

C’est un peu un retour à la case départ, aux sources. Lorsqu’on a commencé le projet, on était assis à sa table de cuisine, on jasait de qui pourrait chanter, on créait notre casting. J’ai toujours eu une bonne complicité avec Gilles. Je pense qu’il lui fallait peut-être boucler sa boucle, car on a fait le tour des Douze hommes, on s’est rendus jusqu’à la version symphonique, on a pressé le citron; c’était l’fun et ç’a toujours marché. Qu’il veuille boucler sa boucle, je trouve ça noble. Gilles est au service de la chanson, il aime vraiment en composer. Il possède des racines de Félix Leclerc. Quand il chante, c’est poignant, il porte une empreinte du temps.