Les vies parallèles de Kaïn et Big Brave

Si nous vous demandons quel groupe a commencé dans le folk, mais s’est trouvé une véritable voie en devenant l’une des propositions rock les plus lourdes du paysage québécois, puis a fait paraître un album le 15 septembre, qui nommeriez-vous ?

Circonscrit comme ça, je vous comprends bien d’hésiter entre le trio Big Brave qui soumet son troisième opus Ardor et les éternels Kaïn, qui lancent leur septième album, Welcome Bonheur.

Et que diriez-vous si, au-delà de ce pitch, on vous disait que ces deux albums ont des destinées parallèles? Les mêmes objectifs, mais par des moyens foncièrement différents.

Un destin lié. (Photo: Screenshot YouTube)

Un destin lié. (Photos: YouTube)

Redéfinition du genre musical

Les traces audibles du parcours folk minimal de Big Brave sont peut-être rares, mais les origines sont notables dans leur premier album Feral Verdure paru en 2014. Depuis, les explorations vont du côté de l’augmentation en volume, en distorsion, en punch et en puissance. Ce faisant, on navigue dans le doux univers à la jonction du sludge, du doom et du post-rock. La pièce Lull montre plus de délicatesse que Sound, qui agit comme l’élément déclencheur en quête de résolution.

La quête de redéfinition de Kaïn, elle, est toute autre. Welcome Bonheur commence avec sa pièce homonyme qui nous laisse comprendre que le quatuor veut se trouver quelque part entre KISS et Les Respectables. Sur Comme un bum, ce sera le point de jonction entre Footloose et La Chicane. Sur Dolloraman Blues, chanson contestataire contre la société capitaliste prenant la peine de souligner qu’on sauve «de grosses piastres» chez Wal-Mart, on entend une fusion certaine entre Puit sans fond des Vulgaires Machins et Darlin‘ de Roch Voisine.

Relation avec ses démons

Si la thématique de Big Brave n’est pas explicite, on peut tracer une narration assez claire entre le premier titre, Sound, où Robin Wattie s’exclame «You are taking part» et la finale, Borer, où elle conclue, avec une puissance d’âme sans équivoque «I am protected, yes, I am immune». Faute de paroles sous les yeux et de compréhension impeccable des textes, on peut supposer que du You au I, il y ait une question d’affranchissement, de délivrance et de prise de contrôle grâce au cheminement psychologique et émotionnel vécu en traversant les trois titres qui constituent l’album.

Kaïn fait plutôt preuve de chronologie inversée. Si la chanson homonyme de l’album parle de l’acceptation de la quarantaine et de l’arrêt de la cigarette et de la boisson, au moins la moitié de l’album est constitué de chansons à boire (La nuit gronde) ou d’aveux d’alcoolémie avancée («J’suis peut-être saoul/Mais pas pour autant fou/Quand j’te dis qu’demain on fly pour Disneyland» [Piastre Palace]). En donnant le titre Welcome Bonheur à l’album, on comprend que l’état d’esprit de Veilleux est plutôt dans l’acceptation. La catharsis s’effectue par l’exposition publique des malheurs passés.

Volume sonore

Parlant de catharsis, Big Brave en est capable, voire même des maîtres de la chose. L’auditeur, chez lui, effectue un voyage dans le temps en voyant la peinture décoller des murs du studio lors de l’enregistrement de l’album. Les effets et la charge des amplificateurs permettent à la fois de purger le mal intérieur, mais portent aussi quelque peu à l’introspection, comme le ferait Sunn O))) (avec qui, Big Brave a d’ailleurs déjà partagé la scène. Tout est dans tout.)

S’agit-il d’une décision du réalisateur ou d’une volonté réelle du batteur Yanick Blanchette de devenir un athlète de son instrument comme un Vinnie Colaiuta ou autre Terry Bozzio? Les coups de tambours retentissent comme s’ils étaient cinq à jouer, les kicks de bass drum s’apparentent à ce que des batteurs de metalcore pourraient aller chercher, autant au niveau du timbre qu’à leur utilisation dans certains fills. La rapidité est, certes différente, mais l’intention est très similaire. Cette pointe agressive se retrouve également dans les endroits les moins attendus, notamment la pièce conclusive, La vie à mort, où les notes aiguës du piano contiennent tellement d’attaques qu’on se croirait attaqués, meurtris, par l’interprétation de Steve Veilleux. Et que dire de son vocabulaire dans La sainte paix, où il utilise l’expression imagée «en avoir son Irak», ainsi que le refrain «J’veux la paix/la sainte paix/sacrez moi-là/crissez moi-là dans l’front!»

Deux approches différentes à la lourdeur, deux manières de se réinventer après les incursions folk, bien que les origines soient bien audibles dans le produit final. De ces albums parus en même temps et ayant une destinée parallèle, on ne peut conclure qu’une chose: ceux qui pensent que l’un a réussi l’exercice croiront que l’autre a échoué lamentablement le sien.

Pour notre part, on donnera bien 3.5/5 à l’un et 1.5/5 à l’autre.

Lequel est lequel ?

À vous de choisir votre camp.