Obia le Chef: «Je fais du rap à ma sauce»

Publié le 08 juin 2018 par Feuavolonte @Feuavolonte

Après de longues années à mettre la table pour les amateurs de rap éclairé, le MC montréalais arrive avec un plat de résistance digne des grands maîtres. Genèse et anecdotes de Soufflette, son premier album officiel sous 7ième Ciel Records.

Obia le Chef/ Photo: Alexandre Demers

Né à Longueuil, grandi à Montréal, Obia le Chef a fait ses premiers pas dans l’underground local au tournant des années 2000. Notamment inspiré par la plume tranchante et déstabilisante de Scarface, le rappeur d’origine haïtienne a d’abord présenté son style incisif et son flow percutant sur des smack DVD autoproduits et distribués dans la métropole. Il s’est ensuite taillé une place de choix parmi les meilleurs combattants du battlerap francophone lors de performances sans failles au WordUP! et au Rap Contenders où il a su cuisiner tous ses adversaires à sa sauce (il n’est quand même pas «chef» pour rien). La suite s’est dessinée au fil du temps via le lancement de projets indépendants aux côtés de El Cotola, de joutes oratoires sur les ondes de Radio-Can et d’une apparition notoire sur les planches au Théâtre de Quat’Sous. La longue traversée du grand chef.

À la suite d’un long parcours à devoir se prouver de toutes parts, Obia fait paraître Soufflette, un premier album officiel fraîchement sorti des fournaises de 7ième Ciel Records. On s’est entretenu avec l’artiste à la détermination de fer pour en connaître davantage sur le chemin menant à la parution de ce premier album, son inébranlable rigueur en studio, le contenu de la galette et sa propension aux rhymes de bouffe. Genre.

Un travail de longue (mais toujours fraîche) haleine

C’est à la suite de la parution des street albums en collabo avec son partenaire et beatmaker El Cotola parus au début de la décennie qu’Obia s’est retrouvé à revoir sa proposition artistique. Doté de sa propre signature atypique aux textes denses et évocateurs, le duo a fait paraître Le Procédé (2011) et Le Théorème (2013). Malgré les efforts investis dans ces deux projets et les éloges de la presse indépendante nichée, Obia s’est quelque peu buté à un mur lorsqu’il a constaté que ceux-ci n’avaient pas reçu toute l’attention médiatique attendue. «Ça m’a un peu poussé à prendre un certain recul et réévaluer ce que j’allais faire pour la suite. Les semaines se sont transformées en mois, puis les mois se sont transformés en années. J’ai failli complètement lâcher la musique», avoue-t-il.

Grâce aux bénédictions de quelques gars de son équipe qui l’encouragent à poursuivre, Obia reprend finalement la plume et se livre à un exercice de style en solo fait à temps partiel. Le résultat donne naissance au mixtape Paranoïa vol. 1, paru en 2016. «J’ai exploré de nouveaux horizons de la musicalité et des refrains, tout en gardant l’aspect street. Ça m’a permis de me retrouver sur le plan artistique. J’ai un peu mieux catché la formule que je devais adopter et je comptais me concentrer là-dessus pour le prochain projet.»

Ce mixtape et ses impressionnants vidéoclips autoproduits sont tombés sous la loupe de Steve Jolin, fondateur et mastermind de l’illustre label 7ième Ciel, derrière les récents projets de Koriass, Alaclair, FouKi et cie. Quelques rencontres (et cafés) plus tard, Obia était signé sous l’étiquette et préparait la parution d’un premier album officiel. «Je me suis mis beaucoup de pression considérant que ça allait être mon premier album endisqué. Je voulais vraiment excéder de loin ce que j’avais déjà fait. J’étais seul en studio pour la création, la recherche des thèmes, l’orientation musicale, etc. Je cherchais à tendre vers quelque chose de naturel et d’original plutôt que quelque chose de trop réfléchi qui allait peut-être perdre les gens. J’ai presque pas dormi pendant le processus. Il fallait que j’en mette plein la vue…»

Pochette Soufflette

Street shit et salade de chou

Le fruit de ce processus intensif de création se nomme Soufflette (terme créole haïtien pour désigner une bonne vieille claque), un album aux textes résolument urbains posés sur des sonorités afrobeat, du alternative hip-hop et quelques trap beats assez lourds. À travers ce désir de simplifier la formule pour mieux la présenter au public, le rappeur a trouvé une recette beaucoup moins hermétique (voire dansante par moments) sans faire de concessions du côté de l’authenticité. On peut le remarquer sur des morceaux tels que Pas né, Zéros et Bonne. « À première écoute, tu peux penser que c’est bien happy joy joy, mais si tu prêtes une oreille un peu plus attentive, tu vas peut-être catcher les subtilités, les jeux de mots, etc. Tu peux écouter en surface ou plus en profondeur.»

Pour ce qui est de l’arsenal côté beatmaking, le Chef est allé cogner aux portes des High Klassified, Kaytranada, DoomX (de Planet Giza), Benny Adam et Freakey de ce monde pour peindre minutieusement la toile de fond et transposer sa vision de l’album. «Point de vue musicalité, tous ces gars-là sont fucking incroyables. Ils vont pas juste cop des petits 808, des drums snares, etc. Ce sont des jeunes prodiges. Je voulais avoir quelque chose de vivant et dynamique. Je voulais que ça ne ressemble à rien de ce qui se fait vraiment, tout en ayant une certaine familiarité. Et mis à part Benny Adam, tous les beatmakers sont Haïtiens. Ça s’est fait naturellement, mais je voulais aussi représenter ma communauté dans l’album. Y avait une certaine fierté de pouvoir affirmer ça aussi», admet-il.

Dans les thèmes, les amateurs d’egotrip et de street knowledge sont servis. À travers cette proposition, les fines oreilles auront remarqué l’omniprésence d’aliments divers dans les lyrics. Parmi les élus au menu: steak haché, gâteau Rockaberry, Corn Flakes, chow mein et, surtout, salade de chou. «C’était un beau trip de bouffe pendant toute l’écriture. Je fumais des bats je prenais du poids… Non c’est pas vrai. Honnêtement, j’ai pas remarqué mais c’est vrai que je fais souvent référence à la bouffe. I guess que manger est un de mes péchés. C’était pareil sur Pinel où je disais T’as l’air d’un repas, comme banane, griot, pikliz avec un p’tit riz et sauce pois. Ça vient naturellement, on dirait.»

Tout le monde s’éclate à la queuleuleu

En guise de mise-en-bouche à l’album (tant qu’à rester dans les thématiques de bouffe), le principal intéressé a fait paraître Queuleuleu, un premier single à saveur trap. Un move surprenant pour un MC qui a longtemps fait à sa tête sans se soucier des trends du moment.  «Je vais pas mentir, j’écoute Migos depuis 2014 et j’ai toujours suivi ce genre de rap de très près. C’est principalement ce que j’écoute depuis un certain temps. J’ai pris une prod de DoomX à travers laquelle je cherchais des gros kicks et de la grosse basse qui fesse dans le dash. Le but n’était pas de suivre la tendance ou quoique ce soit, c’était simplement de concocter quelque chose que j’aime et l’adapter à ma sauce», affirme-t-il, toujours soucieux de rester authentique à sa volonté artistique. «Je ne suis pas allé prendre le même flow que tout le monde. Même chose au niveau des textes. J’ai essayé d’amener un peu plus de profondeur et une certaine originalité.»

Les fins renards qui prêtent l’oreille à la version longue du morceau proposé sur l’album jusqu’à la toute fin découvriront avec joie (ou pas) un extrait de la chanson La Queuleuleu chantée par André Bézu dans le générique d’une émission pour enfants des années 1980. Obia nous confirme que ce n’était pas un souvenir d’enfance refoulé.  «C’est mon gars Benny Adam qui m’a fait découvrir ça. On était en studio et après avoir entendu ma chanson, il a voulu me faire entendre de quoi. Il m’a montré ça. J’ai dit « c’est fucking drôle, il faut qu’on mette ça à la fin de la chanson. » Après ça,  l’album enchaîne avec le track Scuse… donc si jamais t’allais sauter en bas du pont après avoir entendu ça, tu peux redescendre tranquillement. »

Une bonne soufflette sur le rap game

Trêve de références culinaires et de générique louche d’émission pour enfants, Obia se voit actuellement en pleine possession de ses moyens et au sommet de son art. Après toutes ces années de dur labeur et d’incertitudes, il a l’impression que, pour une réelle première fois, il est en position de sacrer une bonne claque et secouer les amateurs qui avaient précédemment sleep sur ses propositions. «Le titre de l’album, c’est par rapport à l’effet que je pensais que sa sortie allait avoir sur l’industrie et la scène en général. Dans le sens que c’est pas un projet que tu t’attendais à recevoir de ma part. Il y a des refrains chantés, des jeux de mots, Roi Heenok, Caballero et JeanJass, des grosses productions de Kaytra, High Klass, Freakey, DoomX, la signature sous 7ième Ciel que j’avais pas initialement annoncée, etc. En même temps, la définition européenne d’une soufflette, c’est un shotgun de weed: c’est comme être super high pendant un cours laps de temps. Y a un double sens. C’est un peu un concours de circonstances.»

Qu’on se le tienne pour dit!

Le nouvel album Soufflette est disponible un peu (pas mal) partout sur les internets et dans les magasins qui vendent toujours des disques.

Obia le Chef sera sur la scène extérieure des Francos, ce samedi 9 juin à 23 h. Oublie pas de coucher les enfants.

Il fera partie des invités de Josman & Eazy Dew lors de leur passage au Belmont le 15 juin, un gros show organisé par Smoking Camel.

Il sera également en première partie de Demi Portion à Québec le 17 juin sur les planches de L’Anti Bar & Spectacles.

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