Rouge Coeur de pirate

Je me souviens très bien du moment où je suis débarquée au HMV de Sherbrooke, demandant «avez-vous reçu le CD de Coeur de pirate?», pour me faire répondre «Coeur de quoi?». J’avais répondu que c’était «le projet solo de la claviériste de Bonjour Brumaire». Je vous laisse imaginer comment on m’avait regardée. On pourrait parler du mauvais disquaire, mais on peut surtout dire que ce moment s’est déroulé il y a plus de dix ans et c’est cette décennie (et accessoirement la rentrée montréalaise de sa tournée) que Coeur de pirate célébrait cette semaine au MTelus.

Rouge Coeur de pirate

Coeur de pirate/Photo: Élise Jetté

C’est le Français Gaël Faure qui a le fardeau d’ouvrir le bal pour une foule dissipée et indisciplinée. Sans band, il s’exécute pour quelques pièces qui ne sonnent pas exactement juste. À sa défense, j’ai manqué le début, le gardien de sécurité ne m’autorisant pas à rentrer mon odorant sandwich shish-taouk dans la salle de spectacle.

À l’arrière de la salle, les gens se demandent de qui il s’agit. «Poumon de pirate» ou «intestin de pirate», suggèrent certains spectateurs amateurs d’organes, accotés au bar.

Dans un décor rétro européen et rétro-éclairé et vêtue entièrement de rouge, Coeur de pirate amorce Combustible, tiré de son plus récent album En cas de tempête, ce jardin sera fermé. 

«Je m’appelle Coeur de pirate et ça fait dix ans que je fais ça», lance l’artiste avant de préciser qu’à l’époque elle n’avait aucune confiance en elle et qu’elle a «grandi avec le public». Et il n’y a pas grand-chose de plus vrai lorsqu’on prend un temps pour percevoir l’évolution.

Si les premiers concerts de Béatrice représentaient le portrait officiel de la timidité extrême, c’est aujourd’hui une tout autre histoire. Même dans la voix, tout y paraît. Il y a dix ans, la voix tremblotante de Coeur de pirate cassait souvent en chemin alors que le spectacle à grand déploiement qu’elle nous offre désormais est exécuté avec une voix et des gestes assurés.

Extrêmement à l’aise, l’auteure-compositrice-interprète enchaîne les pièces de tous ses albums avec assurance et s’adresse avec aplomb à son public. Pour Je veux rentrer, elle nous explique même le niveau de difficulté que représente le thème de la pièce, mais la nécessité de la faire devant les gens.

Peu après, elle aborde un cover de Dirty Dirty de Charlotte Cardin, en disant que cette pièce l’accompagnait souvent sous la douche au moment où rien n’allait. Puis Charlotte apparaît à mi-parcours pour l’accompagner, également vêtue de rouge.

Outre ses chansons, elle offre aussi City Lights Cry, pièce du duo Armistice qu’elle formait avec son ex.

«Le brand de Coeur de pirate, c’est surtout de faire des chansons contre mes ex, dit-elle avec humour. Donc ça ne me semblait pas très lucratif de faire cette toune-là.»

Puis, avant d’entamer Place de la République, elle explique à la foule qu’elle a plusieurs TOC: «se laver les mains, placer les vêtements par couleurs unies, sortir uniquement avec des Français». Dans cette chanson, elle a pris l’habitude, avec les années, de changer le nom de la ville où le gars l’attend en fonction de son chum du moment.

Puis, elle nous parle de son nouvel amoureux, un Québécois (yes!) qui lui a annoncé qu’il avait une mère de l’Île-Maurice. Oups. «J’ai encore changé les paroles pour lui», avoue-t-elle en riant.

Pour interpréter Amour d’un soir, Coeur de pirate se lance dans les explications d’un one night stand. «Si vous avez moins de 18 ans, vous demanderez à vos parents», dit-elle. Et elle explique que, elle, de toute façon, elle n’a même pas besoin de frencher le gars pour «s’imaginer avec lui dans un chalet des Cantons-de-l’Est avec un chien».

Le show se termine par Comme des enfants, le premier hit en carrière de Coeur de pirate. La boucle est bouclée. Elle demande au public de chanter avec elle, tout en précisant qu’on peut aussi faire semblant, comme «c’est difficile de comprendre les mots» quand elle chante. De la belle autodérision comme on l’aime.

Le rappel commence par Dans la nuit. Loud entre pour sa partie, vêtu de son plus beau track suit rouge (pour fiter dans le thème de couleur), puis il ressort aussi vite qu’il est entré pour laisser Coeur de pirate faire une dernière toune, Prémonition.

Lors de la salutation du band, on réalise que les musiciens sont tous habillés en gris, pour ne capter aucune attention. Ils ont été dans l’ombre toute la soirée. C’était le soir de Béatrice.

«Merci d’avoir été là pendant dix ans», conclut-elle.