High Tone

Out Back

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Jarring Effects/Discograph
Sortie : Mai 2010

On le sait, la Hollande est l’autre pays du fromage, ce que l’on sait peut être moins c’est qu’avec des groupes comme Ez3kiel, le Peuple de l’Herbe, Zenzile ou High Tone, la France est, elle, bel et bien l’autre pays du dub et peut-être bien même la seconde patrie du reggae électronique en général. Que viennent faire ensemble, me direz-vous, le fromage et le dub dans cette intro de chronique ? Vous aurez d’autant plus raison de poser la question que la Hollande offre bien d’autres produits beaucoup plus propice à l’écoute de cette musique…aplatissante. Mais bon, il faut bien commencer par quelque chose, même s’il faut bien reconnaître que c’est parfois un peu tiré par les dreads.

Donc, revoici High Tone, de retour de sa plongée en apnée dans les entrailles du dub le plus primal qui les avaient vu prendre quelque peu leurs distances avec le mélange drum n’ bass, dub, abstract hip-hop, électro, qui leur avait ouvert toutes grandes les portes d’un public sans cesse plus nombreux et international.
Ce petit retour aux roots leur aura certainement fait le plus grand bien, si l’on en juge par ce qui en résulte aujourd’hui. Les machines, emprunts de tous les genres de musique possibles, collisions improbables, bref tous ces mélanges (jugés par certains “contre nature”) leur auraient-ils à ce point manqué qu’il faille aujourd’hui deux pleines galettes pour célébrer les retrouvailles ?
Sans aucun doute, car c’est avec le double album Out Back qu’High Tone déclare ouverte la saison printemps 2010.
En matière de mélange des genres, et inlassablement avec le même talent et la même réussite, on est quantitativement et qualitativement plutôt gaté.
Sans passer tous les titres en revue, on notera, un peu à la volée, que “Liqor” (feat. Oddateee) rappelle assez le “Busted In The Hood” de Cypress Hill, précédant un “Rub-a-dub anthem” beaucoup plus purement jamaïcain, que l’on retrouve les climats asiatiques déjà discrètement présents sur les derniers albums (”Home Way” et sa flute indienne) et que, plus généralement, l’humeur, sans être hostile, est plutôt pesante à l’image des quelques arpèges de gratte bien glauques qui ouvrent le second volet de l’album.
Impression de ville industrielle abandonnée et peu à peu recouverte d’une jungle inextricable, étouffante, moite et organique. Comme toute jungle digne de ce nom, celle-ci est traversée de sons, de cris et d’odeurs non identifiés suscitant légérement l’inquiétude, mais surtout la curiosité.
Des plages plus apaisées comme, “Bastard”, sorte de western spaghetti hanté à la sauce jamaïcaine évidemment, ou dansantes comme, “Boogie Dub Production”, viennent offrir quelques respirations bienvenues au milieu de cette atmosphère généralement chargée en effluves exotiques, humidité et menaces difficilement identifiables. En effet, sans cesse, on est aux aguets, d’où vient ce son, qu’annonce t-il, que va-t-il se passer maintenant ? Chaque break est fait pour nous tenir en alerte, alors que pourtant, tout nous porterait à suivre en somnambule la rythmique implacable de chacun des titres.
Car oui, derrière toutes les expérimentations, derrière tous les instruments utilisés, tous les scratchs et tous les samples, c’est une nouvelle fois la basse qui sort vainqueur de ces 15 combats sonores. Cette basse énorme, avançant menaçante et sereine, rampante bien sûr selon l’expression consacrée, comme “un fascinant serpent venimeux”, qu’hypnotisée par son mouvement, sa victime ne songera pas une seconde à fuir et qui, se faisant, prend tout son temps pour fondre sur elle.
Double album, qui plus est de dub, voilà sur le papier qui n’est pas forcément pour rassurer le commun des amateurs de musique, mais, et c’est là tout le talent de nos cinq lyonnais. En partant d’une musique à la base très codifiée (basse, échos, voilà ), ils ont su, à coup de machette sans doute, tracer leur propre chemin au milieu des racines profondément ancrées dans la culture jamaïcaine, pour revenir les bras chargés d’influences et l’esprit plein de rencontres dont ils ne nous livrent ici, sans doute, que la substantifique moelle.
Le reste du récit du périple qui les a amené jusqu’à ce double disque, c’est sur scène qu’il faudra le découvrir, car si la musique du groupe est très visuelle, en ce sens qu’elle invite à se faire son propre film les yeux clos, l’énergie dégagée sur les planches vaut aussi largement le détour.