Deux Vieux Criss se prononcent sur le GAMIQ

«Pour être un Vieux Criss, il faut commencer par être un P’tit Criss.» C’est le constat que nous donne Michel Le François, ancien membre de l’Infonie, François Guy, ancien membre des Sinners, France Castel et Louise Forestier en s’unissant sous le nom «Les Vieux Criss». Leur album est sorti le 11 novembre et on profite de l’occasion pour parler de ce projet et de musique en 2016.

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La moitié des Vieux Criss sont présents avec nous pour faire un retour sur leur projet. Mais où sont donc France Castel et Louise Forestier? «On ne sait pas, elles font leurs affaires. On n’est pas ABBA, on ne se tient pas deux gars-deux filles», nous indique François Guy.

Ni ABBA, ni un groupe revivaliste de vieux succès. Exit Le Retour de nos Idoles; les Vieux Criss se situent à l’opposé de leur proposition. «Je ne veux pas descendre ça, je suis content pour eux, ils jouent leur vieux matériel, mais nous, on ne voulait pas ça. On est encore dynamiques, on fonce, on roule et la musique qui fait un peu plus de bruit», indique l’ancien membre des Sinners.

Michel Le François a d’abord eu l’idée de recréer une formation avec des routiers qui ont fait de la musique dans les années 60. Mais force était de constater que ceux qui ne roulent pas en ce moment avec leur matériel étaient désormais décédés ou en moins bonne santé pour reprendre la scène et le studio. Le nom, pour sa part allait de soi. «“Regarde, son père travaille pour le faire vivre et lui, le p’tit criss, il a les cheveux longs et il passe son temps à jouer de la guitare dans le salon.” Je le sais que c’est ce qu’ils disaient, les gens. Et aujourd’hui, j’ai encore les cheveux longs et je joue de la guitare dans le salon, comme un vieux criss», nous dit Michel, à la blague. Après les Vieux Criss, il n’y avait qu’à se joindre aux «Vieilles Tabarnaks», pour reprendre leur terme.

L’idée de créer du neuf n’apparaît pas comme quelque chose de naturel pour les deux vétérans de la musique québécoise. «Fondamentalement, s’il n’y avait que des chansons immortelles, je ne sais pas pourquoi on en ferait d’autres, on écouterait toujours les mêmes… quoi que c’est un peu ce qui arrive», remarque François. Pour aller de l’avant, il ne faut pas regarder en arrière, ajoute-t-il.

Pour eux, être un Vieux Criss, ce n’est donc pas une manière de dire qu’il chante toujours les mêmes rengaines, mais un signe de persévérance. «Ça veut dire qu’il ne lâche pas. Le Vieux Criss est encore là, c’est encore lui qui joue», signale François. La formation reste d’ailleurs ouverte aux musiciens qui sont prêts à suivre le modèle. «Les Vieux Criss seront toujours ceux qui voudront monter sur scène avec nous, spécifie-t-il. Ça s’adresse aux gens qui ont des choses à dire. À l’époque, quand tu passais 60 ans, t’étais vieux et c’était terminé. On te plaçait dans un mouroir, on mangeait mal. Astheure, on a 70 ans et on est en pleine forme et ils mettent les gens à la retraite à 65 ans. Qu’est-ce qu’on a à faire à part jouer au golf ? Nous, on est dans un métier qu’on adore et qu’on ne veut pas lâcher.»

Et est-ce qu’on ne ressortirait pas «GoGo Trudeau» des Sinners en 2016 ? «J’aurais jamais fait ça, stipule François Guy. J’étais plus dans le groupe. J’ai écrit Québécois, quand même.»

Vous connaissez le GAMIQ?

François: Bien sûr! On est pas des ignares, quand même, on fait partie du milieu.

Parfait. Donc on va vous faire écouter les cinq artistes en nomination pour le prix Artiste de l’année et les cinq nommés pour Révélation de l’année et nous voudrons votre pronostic sur la suite des choses, basé sur votre grande expérience dans le milieu musical québécois.

1 Commençons donc avec Brown, trio avec les deux frères rappeurs, Snail Kid, de la formation Dead Obies, et Jamai, de K6A et Jam & P.Dox. Ils jouent avec leur père Robin Kerr, un reggaeman de Montego Bay. Écoutons le premier extrait de leur album paru en janvier, Brown Baby.

François: « Ton bébé va être brown»… c’est mieux que violet, remarque. C’est bien fait, mais c’est pas innovateur. Ça fait 20 ans que ça existe et y’en a eu des millions comme ça. Mais, c’est bien fait.

Michel: «Ton bébé va être brown», la ligne est drôle.

2 Dans Brown, il y a un membre de Dead Obies et c’est justement eux qu’on va écouter, avec le titre Waiting de leur album Gesamtkunstwerk. On salue notre ami Richard Wagner.

Michel: «Rendu vieux»? Ça prend ben un jeune pour dire ça…

François: C’est mieux, j’aime mieux ça, parce qu’il y a quand même une mélodie…

Michel : Y’a plus un mélange de styles, l’autre était plus ordinaire. Ça, c’est mieux.

François : Mais je trouve qu’on projette des phrases juste pour frapper l’imaginaire, attirer l’attention qui ne font pas avancer la race humaine, trop trop, mais quand il se met à chanter, c’est déjà plus intéressant. Le rap…soit qu’on s’en sert pour danser, soit qu’on a quelque chose à dire. Tant qu’à wrapper, parce que c’est l’enveloppe, le wrap, c’est juste du son mais t’as rien à dire.

Michel: Un loop de bass pis un bassdrum avec un gars qui dit rien…

3 Un autre rappeur, quand même, avant la fin. Koriass, avec son album Love Suprême de février, est la coqueluche des médias, récemment. Un vidéoclip tourné en Facebook live pour le titre Nulle part a été son dernier grand coup qui a fait jaser. Écoutons ce titre.

François: Moi, le monde qui disent dans leurs chansons que les chansons des autres sont plates, ça me touche particulièrement pas à la bonne place. C’est quand même quelqu’un que j’ai entendu en entrevue et qui est articulé, mais là-dedans…

Michel: Moi c’est le deuxième, dans le lot.

4 Rosie Valland, ancienne étudiante de l’École de la chanson de Granby, est la gagnante du prix de la chanson SOCAN en 2014 et a beaucoup fait jaser avec son album Partir avant, de 2015. On va écouter la pièce Olympe.

François: Un chant à la Moran.

Michel: Très joli. Très français comme style.

François: Ça mord peut être pas assez dans les mots, mais, quand même, c’est joli, c’est atmosphérique. Tu peux mettre ça tard le soir pendant que tu dessines… des p’tits bonhommes ou… whatever…

5 Safia Nolin, qui a fait beaucoup parler d’elle avec son album Limoilou, de 2015, et, malheureusement aussi, par rapport au scandale de l’ADISQ. On écoute la pièce La laideur, tirée de cet album.

Michel: C’est down.

François: C’est down, c’est adolescent, je trouve. Cégep. Difficulté, «où suis-je?»

Michel: Les textes, les compositions, c’est pas mature.

François: C’est quelqu’un qui se pose des questions, c’est tout à fait dans le ton des cégépiens. Faut dire que c’est dans l’air du temps. Je maintiens ce que j’ai dit tantôt: c’est quelqu’un qui se pose des questions et ça s’adresse à un groupe d’âge, je trouve. Moi, écouter ça… j’aime trop la vie pour me saigner à blanc.

Michel: Ça représente quand même un peu un mal d’époque.

François: Je comprends pourquoi c’est là et je comprends pourquoi ça marche.

Vos réactions?

François : D’emblée, j’éliminerais Rosie Valland pour une seule bonne raison: je ne trouve pas que c’est de la musique alternative. C’est de la chanson française, c’est bien fait, c’est joli, mais pour moi, musique alternative, c’est autre chose.

Michel: Elle n’a pas d’affaire là, est pas dans bonne catégorie…

François: Même Safia Nolin, c’est pas tout à faire de la musique alternative. C’est de la musique pop. C’est plus dans la veine pop. Elle a gagné un Félix.

Michel: Pourquoi sont-ils dans cette catégorie-là, en fait ? La différence est énorme entre les produits…

Pour qui voteriez-vous parmi ceux-ci ?

François: Malgré qu’ils aient un discours franglais, Dead Obies sont les plus alternatifs, pour moi. C’est eux qui offrent quelque chose de vraiment différent.

Michel: Y’apportent quelque chose de nouveau. On l’a déjà entendu, mais au moins, y’ont fait une nouvelle recette avec. C’est frais, ça sonne bien, tant au niveau de la réalisation que des arrangements. C’est la meilleure production des cinq.

Qui va gagner ?

François: Ils vont sûrement le donner à Safia Nolin, pour être dans le ton. Les moutons de Panurge, tu connais?

Parmi les cinq, qui est-ce que vous inviteriez vous pour faire un show avec les Vieux Criss ?

François: Aucun. C’est pas tout à fait nos veines; nous autres, on est des artères. Mais ça nous ferait plaisir de jouer avec eux autres. Pour faire plaisir à ma fille de 23 ans, peut-être Dead Obies. À triperait. Sinon, peut-être Safia Nolin. Rosie Valland aussi fonctionnerait, mais je l’inviterais en première partie: ça prend toujours une p’tite tabarnak avant les vieux criss.

Allons y avec les révélations, maintenant.

1 On commence avec Ariane Zita, qui a commencé une carrière solo en anglais, mais qui s’est vraiment révélée au public avec son tournant francophone sur l’album Oui, mais non, paru en octobre 2015 [NDLR : et avec sa brillante claque dans la face d’Annie Villeneuve, récemment].

Michel: C’est drôle!

François: J’aime ça pour le côté drôle, c’est comme la contrepartie à Safia. Là, tout ce dont j’ai envie, c’est d’une petite neige dehors. Ça fait très fin des années 50.

Michel: C’est comme choisir entre prendre une bière et rire ou se tirer une balle dans tête. Moi j’ai fait mon choix. C’est correct, c’est bien fait.

2 Deuxième choix, Bermudes, qui a fait paraître son EP Filles allégoriques en avril dernier [NDLR : Avec, accessoirement, l’interviewer derrière les futs. Mais ça, on leurs dit pas.] On écoute le titre Cinémascope .

Michel: Une influence énorme du groupe Indochine, ça n’a quasiment pas de bon sens. Mais c’est le fun.

François: J’suis un peu d’accord avec toi. C’est alternatif. C’est les bands de garage, j’en veux de ça. J’embarque, je viens de là, des bands de garage!

3 Laura Sauvage, c’est le projet de Viviane des Hay Babies (François: Oui, les Hay Babies, on connait). C’est solo et en anglais, elle a rencontré aussi un vif succès avec son EP Americana Submarine en octobre 2015 et son album Extraordinormal est paru en mars. Écoutons Dying Alone, de cet album.

François: J’lâcherai pas Joni Mitchell.

Michel: C’est pas très bien fait. Je sais que la toune est plus facile à jouer en mi, mais elle aurait pu mettre un capo et chanter un demi-ton plus haut.

On se donne une chance avec une autre au hasard, vu que ce n’était pas exactement un single. Disons White Trash Theatre School, sélectionnée aléatoirement.

François: C’est qu’il n’y a pas d’énergie. C’est trop laid-back pour moi.

Michel: J’suis méchant, mais à devrait continuer ses cours. Faudrait quelque chose de plus weird que ça. Ça se veut pété, mais pour faire du pété, faut être pété soi-même. Je sais, je suis méchant, mais je trouve ça un peu phoney. Excusez-moi, j’ai été méchant.

François: On ne peut pas dire ça parce qu’ils ont le droit de s’exprimer. On peut ne pas aimer. Moi je suis content pour elle si elle en a fait un disque, mais je ne mettrais pas ça pendant que je soupe avec mes amis.

Michel: Oui, mais il nous demande ce qu’on en pense…

4 Laurence Nerbonne, ancienne leader de la formation Hotel Morphée (F: Ceux qui jouaient du violon, non ?) Oui, mais maintenant, c’est plus pop. Elle est la révélation chanson de Radio-Canada et on écoute la pièce Montréal XO de son album XO.

Michel: C’est comme Mylène Farmer

François: C’est de la pop, c’est pas alternatif, du tout. J’entends Mylène Farmer gros comme le bras. C’est pas alternatif. Le son, l’arrangement… moi, je pensais que le GAMIQ, y’étaient vraiment flyés. Là, j’m’aperçois que les ailes sont courtes. C’est un pot-pourri. Sont à l’ADISQ, la révélation Radio-Canada… Ce que je cherche ici, c’est ce qu’on risque de ne pas entendre à la radio du tout, sauf sur les chaînes alternatives. Quand on sait qu’il s’écrit, au Québec, au bas mot, 2000 nouvelles tounes par année, et qu’on en entend peut-être 10 qui passent en boucle… Dans la musique alternative, on veut entendre des choses qu’on ne risque pas d’entendre du tout sauf chez quelqu’un de branché et que c’est l’ami de l’ami de l’ami…

5 Dernier arrêt, le trio Paupière, qui a fait paraître son EP Jeunes Instants et qui a connu un certain succès sur le vieux continent. On écoute la pièce Elle et lui.

Michel: Pas pire.

François: Me semble que j’ai déjà entendu ça…

Michel: C’est que ça ressemble beaucoup aux Rita Mitsoukos.

François: C’est des sons pré-enregistrés et quand tu les as entendus 843 fois…

Michel: C’est pas alternatif, ça… ?

François : Non, c’est les années 80.

Michel: C’est très actuel, les sons de keyboard des années 80.

François: Ça chante pas assez pour moi. C’est plus des sons.

Michel: Des sons Depeche Mode.

François: Depeche Mode c’est plus rock que ça.

Michel: Oui mais l’intention…

François: Mais c’est vrai, Rita Mitsoukos. Mais, eux autres étaient dedans. En même temps, y’a rien que onze notes pis tant de sons…

Donc, votre coup de cœur?

Michel: Moi c’est le groupe qui sonne comme Indochine, Bermudes.

François: Moi aussi ça serait ça, parce que c’est de là que je viens, les guitares fuzz. Ça sonne alternatif. Ça sonne vrai, y’a des gens qui jouent pour vrai, c’est pas quelqu’un dans un studio qui pèse sur des boutons.

Et qui VA gagner?

François: Bermudes. Si c’est un gala vraiment alternatif.

Michel: Moi je ne pense pas que c’est eux qui vont gagner.

François: Sinon, tu prends la compagnie qui a le plus de membres et qui ont le plus de votes et le plus d’amis.

Michel: Ça se peut que ce soit Paupière qui gagne. Je ne trouve pas ça nouveau, mais je pense.

François: Nerbonne, par contre… Si le GAMIQ, c’est pour être le off-ADISQ, y’a aucun intérêt.

Michel: Alternatif, c’est sensé être un peu pété.

François: Un peu plus fou, un peu plus de cheveux mauves. Quelque chose de différent.

Le gala, c’est dimanche soir. Est-ce que ça vous intéresse d’y aller?

François: Moi ça m’intéresserait, mais je reste à Labelle.

Michel: Moi ça m’intéresserait. C’est où?

Au Lion d’Or, dès 20h. Sinon, il y a toujours la vidéodiffusion sur Livetoune et le site de CISM 89,3 FM.

Pour François Guy, je lui ai appris après la délibération que je jouais dans Bermudes. Je lui ai laissé une copie du EP pour son retour en voiture. Son virement bancaire va suivre dans quelques jours.