Gustafson : redéfinir l’écoute de la musique

Le duo Gustafson prend d’assaut le Quat’Sous du 15 au 17 décembre pour une série de trois spectacles musicaux doublés d’une appropriation scénique qui promet d’étonner. Adrien Bletton et Jean-Philippe Perras, las des scènes de bars agités où l’attention des spectateurs est portée autant sur la musique que sur la bière en fût, proposent un hybride entre le théâtre et la musique. Voici leurs réponses à nos questions, posées, ironiquement, autour d’une bière, dans un bar bruyant.

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1 L’idée de ce spectacle à mi-chemin entre deux propositions, ça vient d’où?

Jean-Philippe: On était tannés de faire des shows dans des bars et on avait envie de créer un spectacle avec tout ce que ça implique. Par cet espace-là qui est un théâtre, on voulait développer notre identité scénique. On a beaucoup de fun à partager notre musique, mais on voulait offrir un spectacle.

Adrien: Ça nous permet de réfléchir au mode de représentation de la musique. C’est quelque chose qu’on perçoit sur le long terme. Il y a des musiciens de studio qui n’ont pas de problème à jouer de dos pendant deux heures. C’est correct. Nous, on est des acteurs et on veut se déployer sur scène.

J-P: Vu qu’on a ce double métier, il y a quelque chose de sacré, pour nous, à être sur scène et on veut développer tout le potentiel de nos idées.

2 Avez-vous l’impression d’inventer un nouveau genre?

A: On essaie d’avoir une conscience de ce qu’on fait sur scène. Le sacré du spectacle n’est pas un sacré religieux. C’est venu de la réflexion qu’on a eue sur la position de spectateur. Comme il écoute un spectacle de musique dans un théâtre, on s’adresse à plusieurs facettes de son intellect et on veut qu’il y est un sens à ça.

J-P: Sans perdre le côté plus brut d’un concert de musique…

3 Est-ce que votre spectacle est plus musical ou théâtral?

A: C’est de la musique avant tout. Mais c’est de se donner des contraintes théâtrales dans la manière d’aborder la scène. On a fait beaucoup de spectacles de musique typiques où on disait «oui, allô, on va vous faire des chansons.»On n’est plus là.

J-P: le fameux 4e mur, en musique, il n’existe pas. On avait envie de se mettre dans une réflexion où l’on avait la possibilité de l’inclure.

4 Qu’est-ce qui vous manque du théâtre quand vous faites seulement de la musique?

J-P: Quand tu joues dans un bar, il manque l’écoute. Y’a toujours des gens chauds. J’en parlais avec Nevsky et on se disait: «sérieux, tabarnak, t’es venu ici, tu t’es déplacé, pourquoi tu cries?» C’est toujours dérangeant.

A: C’est notre responsabilité de leur donner raison d’écouter. On a accès à des outils techniques: un scénographe et un éclairagiste qui nous permettent de nous envoler. On va au bout de notre portée artistique.

5 Comment la proposition oscille-t-elle entre musique et théâtre?

A: C’est parti d’un poème de Boris Vian, Je voudrais pas crever. Ça faisait écho à notre recherche de sens. Ce n’est pas une matière brute de nous, mais on la fait entrer dans notre bulle.

6 Comme il n’y a pas forcément de public précis pour recevoir une œuvre qui se situe dans un «entre-deux», êtes-vous conscients de l’aspect plus audacieux de la chose?

J-P: Pour nous, c’est un show de musique, qu’on fait. Si on ne disait pas aux gens qu’on est comédiens, ils ne se rendraient même pas compte qu’ils assistent à quelque chose de si différent. On développe un langage scénique. On veut juste sortir du discours typique: «bon, la prochaine toune parle de mon chat. On y va: 3, 4.»

A: On ne veut pas qu’ils sortent en disant: «c’était un beau show de théâtre et de musique.» Si des gens n’ont pas envie d’entendre un poème dans un show de musique, c’est leur droit. Mais les artistes devraient réfléchir à comment ils se présentent sur scène.

7 Qu’est-ce que vous trouvez plus faible dans les propositions musicales d’aujourd’hui?

A: La plupart du temps, j’ai l’impression de ne pas avoir eu accès à l’artiste. J’aurais pu écouter l’album chez nous. En spectacle, je ne m’attends pas à écouter l’album comme dans mon salon. Jean Leloup, par exemple, ne parle pas avant dix tounes dans son show, et c’est théâtral pareil. C’est sa manière d’incarner ses chansons.

J-P: Quand tu montes un spectacle, les interventions en font partie.

8 Votre concept est assez singulier, mais avez-vous puisé votre inspiration quelque part?

J-P: Ça vient du poème, comme on disait, mais aussi de la fête des morts du Mexique. On voulait un party, un évènement.

A: On est aussi tombés sur une vidéo des années 40 de Jean Cocteau qui s’adresse à la jeunesse de l’an 2000. On entend des passages, qu’il aurait pu dire aujourd’hui. Il parle de la jeunesse désincarnée, dans l’immédiateté. En abordant la notion de lègue et la place du poète, il rejoint beaucoup ce qu’on voulait transmettre avec le poème de Vian.

9 Pour tous les grands déploiements de ce show, vous travaillez avec qui?

J-P: Ce sont tous des Carey Price. D’abord, quatre musiciens exceptionnels: Amélie Mandeville (basse), José Major (batterie), Clément Leduc (clavier) et Jonathan Drouin (saxophone). C’est Sophie Cadieux qui assure la mise en scène et Max-Otto Fauteux qui est à la scénographie. On connaissait assez de gens pour se faire une équipe très forte. On a aussi Martin Sirois aux éclairages, Émilie Martel à la direction de production, Olivier Gaudet-Savard à la direction technique et Simon Lévesque au son.

10 Est-ce que ce spectacle est la prémisse d’un nouvel album?

J-P: Oui. Les tounes du spectacle ne sont presque toutes pas sorties encore donc on travaille sur la suite des choses. On espère sortir un album à la fin de l’hiver ou au début du printemps.

A: Le printemps, oui. Je pense qu’on est plus des gens de printemps, nous autres.

Gustafson est au Quat’Sous du 15 au 17 décembre. Les billets sont ici. Leur musique est là.