Darlène, d’Hubert Lenoir : Oh boy, le beau portrait

Hubert Lenoir

Darlène

Simone Records

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Darlène, d’Hubert Lenoir : Oh boy, le beau portrait

C’est un album, c’est un roman, c’est un opéra. C’est glam, c’est pop, c’est jazz, c’est rond, ça s’écoute d’un coup. Les étiquettes et accolades sont nombreuses pour le premier album du chanteur de The SeasonsHubert Lenoir. Dans un travail collaboratif avec sa copine Noémie D. Leclerc, celui-ci propose un album coup de poing, mais surtout coup de cœur, qui explore la créativité d’une manière singulière.

Je n’ai jamais eu d’intérêt pour la musique de The Seasons. Ça doit être l’addition de préconceptions autour d’une écoute rapide et du fait que le groupe vienne de Beauport, quartier rival de mon Cap-Rouge natal, du moins dans ma tête. Par conséquent, on peut dire que la première vague d’engouement pour le projet, qui provenait alors du milieu de la Vieille Capitale, me laissait particulièrement froid. Hubert Lenoir is an inside job, en quelque sorte.

Mais boy, oh boy, le beau travail. On s’étonne qu’il y ait autant de pièces instrumentales qui empruntent aux formes classiques du jazz sans que ça ne paraisse forcé ou comme une formule à numéros. Tout est organique et, à la fin, on s’étonne du peu de chansons chantées. Certainement que par moments, on reconnaît trop les Beatles (la moitié de Fille de Personne III apparaît comme un pastiche de Helter Skelter) ou on peut questionner la juxtaposition des genres (l’utilisation des air horn de club dans Ton Hôtel, quoiqu’à leur défense, elles servent plus d’outil narratif). En tout, par contre, l’exercice est réussi, envoûtant, et tout ce que vous avez déjà entendu.

Il y a quelque chose d’une prophétie qui s’accomplit d’elle-même dans le premier single, Fille de Personne II. En parlant du plein potentiel de cette fille, la sus nommée Darlène, on présume, Lenoir utilise la figure de style suivante: «J’ai déjà vu des films d’amour surexposés/T’es le plus beau des films que j’ai regardés». Plutôt que de traiter des lieux communs évidents des récits d’émancipation et de rite de passage, Darlène a une approche rafraîchissante. Les hérétiques qui, comme nous, ont une version numérique et pour qui l’album se termine avec Si on s’y mettait, se font dire que l’histoire ne se termine pas comme la parabole du fils prodigue (contrairement à plusieurs cas de figure comme, mettons, The Wall, ou à une plus petite échelle, Fugueuse à TVA), mais plutôt comme une victoire des parias, des mêlés, des rêveurs, des queers, des dérangeants, des optimistes et des rejetés. Musicalement, la finale nous donne l’impression qu’Hubert jalouse Boom Desjardins d’avoir fait un bed-in à l’Hotel Reine Élizabeth avant lui, mais dans le contexte de l’album, ça passe beaucoup mieux.

Sur les quelques lignes entrelues du roman qui accompagne l’album, Darlène se fait un peu dire «sois belle et tais-toi», puisque de toute façon, elle n’a pas l’air ben ben brillante, donc pourquoi donc lui laisser la parole? Est-ce qu’on pourrait dire ça de l’album en l’écoutant rapidement? Sûrement. C’est là que l’intertextualité va jouer en faveur de l’avenir du projet. Le roman nourrit-il l’écoute? L’écoute nourrit-elle le texte? Écoutez. On n’est pas des critiques littéraires, sinon on serait ben plus fort sur le cocooning et on ne vous inviterait pas à sortir voir des shows sans cesse. Mais dans les mots d’Hubert Lenoir, si c’est dédié à tous les «incompris, les différents, les filles de personnes, les sons of no one et les enfants de la banlieue», on peut s’entendre que l’appel à la liberté est fort et, surtout, parlant. Et si y’a un clin d’œil aux Replacements dans l’histoire, on va le prendre et dire merci.

Est-il ironique qu’un album qui a déjà une aussi grande présence partout et qui s’assure presque déjà d’être dans les tops 10 de fin d’année des médias moins versés dans la création marginale adresse ces questions? Probablement. Mais le sentiment peut demeurer véritable, même si au final le convoi est particulièrement accessible. C’est peut-être même tant mieux. Fiez-vous à la parole d’un enfant de la banlieue. Banlieue rivale de Beauport, peut-être, mais banlieue pareil.